19 février 2006

FRANCIS ET LE MOORE (3)

Autre expression Mooré rapidement assimilée par Francis :"Ligdî kà bé yè" ("il n'y a pas d'argent"), phrase miracle pour décourager les multiples vendeurs ambulants et autres mendiants qui, au centre ville, se ruent sur tout ce qui ressemble à un Européen pour le solliciter, ayant une tendance certaine à confondre "nàsaara" ("blanc") et "BCEAO" (Banque Centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest"). Bien prononcé, c'est redoutablement efficace : d'une part, le fait qu'un blanc parle leur langue vernaculaire les laisse suffisament stupéfaits pour qu'on aie le temps de s'éloigner avant qu'il ne reprennent leurs esprits, d'autre part, l'annonce de l'absence de numéraire décourage leur vélléités taxatoires. Le hic, c'est que Francis, en bon Français, comme la plupart de ses compatriotes, éprouve quelques soucis avec la prononciation des langues étrangères (euphémisme : en fait, il torture la prononciation et ignore superbement les accents toniques ce qui en Mooré, langue tonale où la longueur d'une voyelle et l'inflexion de la voix changent le sens d'un mot, pose de légers problèmes -re-euphémisme-) (1). Importuné par un petit vendeur de ceintures alors que nous déambulons sur l'avenue Docteur Kwamé N'Krumah, après lui avoir dit que, non, merci, il n'a pas besoin de ceinture, son pantalon tenant parfaitement bien à sa taille avec sa ceinture actuelle et devant l'insistance du vendeur, Francis s'essaye donc à la formule magique, "Ligdî kà bé yè" . Le hic, c'est que dans sa bouche cela donne quelque chose comme :"Liquide hic abeille!", ce qui ne suscite pas toujours une compréhension immédiate des mooréophones. Si Francis est un homme plein de qualités, la patience n'est cependant pas la principale (ça, ce n'est pas un euphémisme, c'est une litote). Légèrement agacé (ça, c'est de nouveau un euphémisme), Francis finit par se planter face à l'importun et, fermement campé sur ses jambes, les poings sur les hanches lui lance alors avec un accent qui, bien que situant ses orgines bien au sud de la Belgique, n'a plus rien d'Africain :"Hé putaing, cong, jeu doit teu leu direur dang quelleu langueu : y a pas d'oseille!". Après quoi remâchant sa rancoeur de n'avoir pas été compris, il épanche sa bile dans l'oreille compatissante de Dominique pendant un bon quart d'heure sur le mode :"Ils sont cons ou quoi? Le prochain qui m'aborde je te le prends à la gorge et je lui démonte la gueule à coups de manche de pioche! Voient pas qu'on est pas des estivants ou quoi?". De la difficulté de la communication interculturelle... ____________________ (1) Note aux lecteurs belges : souvenez-vous comme on s'est marré au moment du réferendum sur l'Union Monétaire, quand les présentateurs de la télévision Française s'efforçaient en vain de prononcer "traité de Maastricht". :)

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